Réflexions, spiritualité, coups de coeur... Poète et prophète sévissant sur Internet, le Moineau se réclame du Christianisme social et du Carrefour de Chrétiens Inclusifs, et ne demande l'autorisation de personne pour proclamer la bonne nouvelle de l'amour de Dieu révélé en Jésus Christ pour tous et toutes sans exception.

dimanche 26 juillet 2009

[O] Deux pains, cinq poissons


[Jean 6,1-15]

Voilà un des récits les plus populaires de l'Evangile de Jean: le coup de la multiplication des pains. Tout le monde connait cette histoire. Présente dans les quatre évangiles (Marc 6:30-44, Matthieu 14:13-21, Luc 9:10-17 et Jean 6 :1-15), elle fait partie du fond de récits du Nouveau Testament que tout bon petit occidental entend à un ou l'autre moment sur les bancs de l'école ou de la bouche d'une grand-mère attentionnée, à moins que tant l'école que la famille qui ont fait son éducation ne soient d'une irréprochable laïcité. Pour ma part, j'ai eu une éducation catholique romaine, des parents qui allaient à la messe (et n'oubliaient pas de m'emmener avec eux). J'ai donc eu droit, au cours de religion, au cathéchisme, et à de nombreuses reprises, à l'histoire que l'on connait : Jésus est avec ses disciple et une foule de gens qui les suivent; il est tard et tout le monde a faim. 5000 personnes, nous dit-on, et rien à manger. Enfin, pas vraiment rien, mais c'est tout comme... « Il y a là un jeune garçon qui a cinq pains d'orge et deux poissons, mais qu'est-ce que cela pour tant de monde ! »

Une belle histoire à raconter à des enfants, d'ailleurs. Elle est simple, elle apparemment parle de choses que tout le monde a pu expériementer (même dans nos sociétés de surabondance, le mot "faim" évoque encore quelque chose), et, ce qui ne gâche rien, le héros, celui qui apporte les pains et poissons sans qui rien ne serait possible, le héros, donc, est un enfant. Ce n'est pas le cas par exemple dans le texte de Matthieu, où les disciples semblent avoir eux-même apporté la nourriture, ou l'avoir demandée autour d'eux :
38 Mais il leur dit : Combien de pains avez-vous ? Allez et regardez. Et quand ils le surent, ils disent : Cinq, et deux poissons.

Qui plus est, le miracle est spectaculaire : nourrir 5000 personnes avec si peu, c'est presque plus fortiche que de faire marcher un paralytique.

N'étant jamais très à l'aise, personnellement, avec les récits de miracles, je peux comprendre que les adultes qui, dans les années septante, m'ont donné cours de cathéchisme, aient fait leur possible pour ramener ce récit sur le terrain de l'explication rationnelle. Chose qu'ils faisaient souvent, je ne sais si c'était dans l'air du temps... La mode d'une époque post Vatican II et imprégnée de Dolto? Une volonté de former des enfants qui ne "gobent" pas tel quel n'importe quel récit merveilleux? J'ai du subir, au cathéchisme, une foule d'explications plus ou moins scientifiques : Moïse avait passé la Mer Rouge à un endroit où la marée donne l'impression que les eaux s'écartent d'elles-mêmes, l'aveugle que Jésus guérit avait en fait une maladie qu'on pouvait guérir rien qu'en se lavant les yeux, etc...

Pour la multiplication des pains, il fallait aussi expliquer, que non, Jésus n'avait pas vraiment multiplié les pains. La théorie la plus en vogue était que les gens avaient eu assez à manger parce qu'ils avaient partagé. C'est bien connu : là où il y en a pour 2, il y en a pour 5000.
Le problème, avec de telles "explications", est double :
  • d'abord, même un enfant de 7 ans se rend bien compte que ça ne tient pas la route (il suffit d'avoir voulu un jour manger à 12 un gateau de 2 personnes pour voir où est le problème);
  • ensuite, cela rend l'Evangile un peu gnangnan, on précipite les enfants vers une morale un peu téléguidée : il faut partager avec ses petits camarades. C'est guimauve, c'est moralisateur, on dirait un mauvais épisode de la Petite Maison dans la Prairie. Jésus vaut mieux que ça, non?

Quel dommage qu'on ne nous aie pas, tout simplement, dans un premier temps (quand nous étions tout petits) permis de rêver en nous offrant les miracles tout nus, merveilleux, sans explications. Avait-on peur que nous confondions Jésus avec le Père Noël (qui, comme chacunE sait, n'existe pas)? Et quel dommage qu'on ne nous aie pas, simplement, un peu plus tard, introduit dans le registre du symbolique : le miracle n'est pas un récit à expliquer, mais une histoire qui nous parle de nous, de notre humanité de notre rapport les uns aux autres, à la vie, à Dieu. Même des enfants de 10 ans sont capables de comprendre cela, si on le leur explique bien. Si on fait l'effort de sortir du scientisme et du rationalisme.
Ce que nous devons toujours faire d'urgence, semper reforma, car il y a un réel danger à vouloir estampiller nos convictions du sceau du scientifiquement correct.

Expliquer (par la raison) un miracle plutôt que de le lire dans l'ordre du symbolique, auquel il appartient, est une démarche qui peut ouvrir la porte à toutes les dérives intellectuelles. Je pense ici aux scandaleuses déclarations de André Léonard, évêque de Liège, il y a quelques années, et de Benoît XVI, sur le préservatif. Au lieu de se cantonner dans leur domaine d'expertise (?), la théologie, ces messieurs prétendent se placer sur le terrain scientifique : le préservatif serait dangereux parce qu'il n'est pas fiable à 100%, et donc serait un instrument de propagation du VIH. Sans aller plus loin sur ce thème, on remarquera que prétendre se placer sur le terrain de la science, quand on n'est pas scientifique, pour justifier ce qu'on veut dire au nom de la foi, est à tout le moins douteux, et relève d'une inacceptable malhonneteté intellectuelle.

Mais revenons à nos poissons, à nos pains, et à cet encombrant miracle de leur multilication. Je me souviens d'avoir un jour entendu une prédication (dont j'ai malheureusement oublié l'auteur), qui, à première vue, se situait aussi du côté des "explications". Il est midi, les gens ont faim, ils voient qu'ils sont nombreux, ils n'osent pas sortir leurs tartines devant les autres (des autres dont ils pensent qu'ils sont peut-être venus sans pique-nique). Quand l'enfant propose de partager ses poissons et ses pains, ils se réveillent : libérés de leur frilosité, de leurs doutes, de leurs peurs (peur de ne pas avoir assez, peur "de manquer", peur de devoir partager, ou peur de ne pas savoir partager et dès lors devoir oser manger devant d'autres qui restent le ventre vide), tous sortent leurs provisions de leurs poches, et du coup, il y a assez à manger pour chacun et chacune, assez à manger pour tout le monde.

Si la nuance entre cette "explication" rationnelle et la précédante (ils partagèrent et du coup, il y a eu assez pour tous) est infime. Mais elle me semble essentielle.

Certes, on peut trouver des ressemblances : le miracle est apparemment gommé par une explication (ce n'est pas Jésus qui a vraiment multiplié la nourriture), et la situation est sauvée quand, grâce à un enfant qui propose ce qu'il a, les gens osent sortir de l'isolement, et du chacun pour soi. Dans les deux cas, l'important est que la foule est nourrie avec ce qu'elle apporte : Jésus travaille avec ce que nous avons sur nous, en nous.
La différence est dans la façon dont la prédication rend compte de la nature même du travail de Jésus. S'il ne multiplie pas vraiment les pains, que fait-il?
Dans la première analyse, celle entendue dans mon enfance, il invite à partager. Chacun se prive un peu, et il y en a pour tous. Parabole de ce que nous devrions faire aussi au niveau planétaire : la terre peut nourrir des foules, mais ses réserves ne sont pas énormes; il faut que le patrtage soit équitable (entre Nord et Sud) pour que personne ne meurrent de faim (il y a du chemin à faire!).

Mais la deuxième analyse, entendue plus tard, est à mon sens beaucoup plus percutante. Ici, il ne s'agit pas de calculer, de se rationner pour qu'il y en aie pour tous et toutes, et qu'il en reste, mais simplement de cesser d'avoir peur. De sortir de sa poche ce qu'on a avec soi, en soi, et de le manger. De ne pas thésauriser dans la crainte, mais de jouir de ce repas possible, qui est bon, que l'on peut prendre ensemble, en convivialité. On ne dit même pas qu'ils partagent, même si on peut le supposer (le geste de l'enfant qui offre ses pains est bien un geste de partage). Ici, le travail de Jésus n'est pas de nous faire la morale (partagez comme ce petit garçon et vous aurez tous à manger), mais, en prenant ce pain qui est là, en rendant grâce, en rompant le premier pain et en le distribuant, de nous inviter à manger, de nous inviter à vivre, au delà de nos peurs : mangez ce que vous avez à manger, et vous n'aurez pas faim. Vous serez rassasiés.

4 commentaires:

Coumarine a dit…

une petite remarque...
Tu n'as pas affiché le lien RSS..impossible donc de t'enregistrer dans l'agrégateur.Je risque "d'oublier" ton lien...perdu dans le grand tout de la Toile chronophage...

Le Moineau a dit…

ah, un tout grand merci pour l'info! le flux rss m'avait un peu échappé (je débute pour de vrai, si, si en 2009 alors que la blogosphère existe depuis des lustres, mieux vaut tard que jamais...)

et la réponse aux autres questions est du même ordre : je t'appelais Nicole parce que j'ai vu que c'est ton prénom (enfin, bon, en tout cas, si j'en crois les couvertures des bouquins de Coumarine), mais effectivement, j'aurais peut-être du dire "Coumarine" par respect du pseudo... (même explication : je débute ;-).
Sinon, non, je n'étais pas à Hurtebise.
Merci de me lire et bonne continuation à toi.

Gilles a dit…

dans ce récit biblique, il n'est pas question de « partager » un gâteau en 5000 parts...
Il est question de « multiplier », ce n'est pas tout à fait la même chose...
La générosité de l'un entraîne la générosité de l'autre... Et ainsi de suite...

Gilles
http://blogilles.canalblog.com/

Le Moineau a dit…

@ Gilles:
oui, merci pour ta réflexion, et ta visite.
J'irai aussi en visite "chez toi" souvent, je pense.
:-)
Amitiés