Réflexions, spiritualité, coups de coeur... Poète et prophète sévissant sur Internet, le Moineau se réclame du Christianisme social et du Carrefour de Chrétiens Inclusifs, et ne demande l'autorisation de personne pour proclamer la bonne nouvelle de l'amour de Dieu révélé en Jésus Christ pour tous et toutes sans exception.

samedi 11 juillet 2009

[Livre] Ceci est ton corps

J'ai terminé, dans la nuit de mercredi à jeudi, de lire le dernier livre de Gabriel Ringlet, sorti à l'automne dernier. Terminé à deux heures du matin, car j'avais été incapable de le lâcher, tant il me brulait, ce livre. Trois jours plus tard, il me hante encore, comme si chaque mot de Ringlet avait été une griffe faite à même le plus tendre de moi-même, en un lieu mystérieux où l'âme et la chair sont jointes et palpitantes, en un lieu d'extrème fragilité et de grand vent.

"Ceci est ton corps" est le journal intime d'un accompagnement : celui d'un prêtre qui partage les derniers mois de la femme avec qui il vivait, la compagne de vie, atteinte d'un cancer qui se généralise. Tout dans ce livre emporte dans une émotion vraie mais extrêmement déstabilisante. Que ce prêtre parle d'une femme, de façon pudique mais néanmoins charnelle... Dès le début, l'Abbé Ringlet, en deux pages, explique sans expliquer, que depuis sa jeunesse, il a été engagé à être "un prêtre pour qui la présence d'une femme serait une bonne nouvelle, accueillie joyeusement, en très heureuse harmonie avec sa vocation". C'est pour lui une évidence qui est dite. Il ne s'y attardera pas : l'essentiel est ailleurs.

L'essentiel est dans le corps souffrant de cette femme qui agonise, de façon extrêmement douloureuse. Dans l'impuissance de celui qui l'accompagne. Dans les maladresses et les beautés de l'adieu. Dans la présence de Dieu.

Tandis que le corps de la femme brûle (littéralement, lors de tentatives désespérées du corps médical, après une chirurgie très lourde, de calciner en elle toute cellule cancéreuse), puis peu à peu se délite vers des soins palliatifs qui semblent peu aptes à l'empêcher de souffrir, les mots de Ringlet sont des mots de détresse et de foi. Car ce prêtre et cette femme profondément croyante sont, jusqu'à l'extrême, à la Maison comme à l'hôpital, noués dans le Notre Père récité ensemble en se tenant la main, et dans l'Eucharistie célébrée sur le lit d'agonie.

Le titre, "Ceci est ton corps", est d'une force et d'une violence inouïe: peut-être sans très bien comprendre ce qu'il écrit au départ dans ce journal "brut de décoffrage", Ringlet nous donne à lire que s'opère une sorte de "transsubstantiation": la passion de l'être humain, de cette femme dont le ventre souffre et hurle, devient la Passion. Son Corps devient le Corps même du Christ, le Corps même de Dieu, incarné en l'humanité souffrante.

Dit comme ça, cela parait sans doute un peu bizarre (j'imagine la tête des lecteurs-trices n'ayant pas un minimum de sympathie pour la théologie catholique!), mais les mots me manquent pour rendre justice à la finesse du texte. On n'est ni dans l'impudeur, ni dans la mièvrerie, on est dans le vrai. Le dénuement, certes, la mise à nu et plus qu'à nu.

J'en ai retiré une impression de blessure. Ce livre sans doute fait écho à mes propres peurs (de perdre des êtres chers), à ma difficulté de parler, communiquer sur la maladie (de mon père, par exemple, actuellement traité pour une Xième réapparition de cellules cancéreuses). A ma solitude, aussi. Qui partage ma vie? De qui suis-je compagne?

Mais surtout, une immense compassion pour l'homme qui a écrit ce livre. J'estime Gabriel Ringlet, que j'ai eu comme professeur, et dont j'ai apprécié l'esprit brillant, la culture et l'humanité. Je lui dois aussi beaucoup, car il m'a rendu un jour un service qui a eu une grande d'importance dans ma vie.

Une amie qui étudiait la communication en 2006 à Louvain-la-Neuve m'a dit "Nous avions cours avec lui cette année-là, je n'ai rien remarqué". Tandis qu'il vivait ces heures d'extrême douleur, il continuait à travailler, donner cours, faire passer des examens, donner des conférences... On le sent empêtré dans ce qu'il décrira pourtant plus tard comme « cette formidable imposture qui fait passer pour du courage le fait de ne pas s’arrêter de travailler ».

Mais s'il a un temps marché comme un brave soldat pour qui "the show must go on" sur les routes du devoir et de la face qu'on sauve, il nous dit aussi qu'en parallèle il a marché sur de bien étranges sentiers, aux confins du mystère évangélique, et combien il a pleuré, combien elle et lui ont pleurer, combien nos corps humains sont des corps qui pleurent, et, étrangement, que Dieu peut s'inviter dans ces corps-là.

Il partage le journal de ce voyage, et c'est un très beau cadeau qu'il nous fait, d'une intense délicatesse et d'une humble générosité. Si l'on accepte le cadeau, on peut en ressortir touché à vif, un peu déboussolé par le voyage, mais étrangement grandi.

Gabriel RINGLET, Ceci est ton corps. Journal d'un dénuement, éditions Albin Michel, 2008.

1 commentaires:

Coumarine a dit…

Invitée à lire ce billet sur le livre de Gabriel Ringlet, je suis venue
Et j'ai été très touche...je reconnais dans les tiennes mes propres impressions
Une question: tu m'appelles Nicole, se connait-on?
As-tu participé à la session de début juillet à Hurtebise à laquelle G.Ringlet participait et donc je donne de larges mpression sur mon blog. J'y animais un atelier d'écriture..
Je reviendrai ici je crois...merci de m'avoir fait signe
Bone chance dans le monde des blogs (je vais bientôt "fêter" mes 5 ans d'écriture sur ce media étrnage ooù se côtoie le pire et (heureusement) le meilleur
Bon dimanche à toi